Fifis

Une douzaine de pauvres bougres en uniformes allemands se rendirent, un jour, à nos maquisards à nous; ceux-ci les amenèrent dans le préau de notre école où un des maquisards—probablement un Alsacien—les interrogea en une langue gutturale. Un à un, ces pauvres bougres furent forçés, en une forme de torture, de faire l'exercice avec un grand sac de cailloux sur le dos. A les regarder faire, je me demandais si notre père avait été soumis à des sévices semblables, lors de son séjour au camp de Dachau.

A cette époque, mon instituteur—mon maître d'école—ce bon Mr Gounod, m'avait déjà enseigné que "Plus ça change, plus c'est la même chose," une bien triste notion en ces circonstances. Cette langue gutturale-là avait bien un son plus ou moins familier, que je n'arrivais pas à placer—en fait, c'était la langue de Goethe et de Schiller, notre langue maternelle. Il ne faisait donc aucun doute que les petits Moritz n'étaient plus. A leur place, il y avait maintenant les frères Mauricet, dits "Ricet," des petits francophones qui connaissaient, par coeur, les fables du sieur Jean de La Fontaine et les poèmes de messire François Villon.

Les hostilités terminées et la guerre gagnée, certains réfractaires au STO se targuèrent avoir été des patriotes, et non des opportunistes, car ainsi que chacun sait, c'est le vainqueur, et non le vaincu, qui écrit l'Histoire.